ERNST THEODOR ZENDER, BUENOS AIRES, 1959.
"C’était un personnage élégant, entre deux âges, en complet gris et petite cravate bleu nuit un peu dénouée, chapeau de feutre et canne à pommeau, un fin cigarillo pendu aux lèvres ; seul le visage, dans cette parfaite composition de l’homme courtois et même cérémonieux, dénotait : on eût dit qu’à l’abri de ces traits en apparence civilisés, comme soumis à une sorte d’éthique supérieure et de politesse implacable, un combat féroce et silencieux se déroulait, dont seules les crispations régulières de la mâchoire et la clarté opaque des yeux vides témoignaient des dégâts intérieurs.
Alors, en un éclair, je te reconnus : c’était bien toi qui venais vers nous ainsi, sans te presser. À force de réprimer en toi de telles puissances créatrices et narratives et de les laisser en friche sous cet aspect de fonctionnaire d’État obséquieux, appliqué, totalement inféodé à cette société argentine qui finalement te correspondait si bien, tu avais retrouvé cet exact paradoxe de ta condition d’homme : la civilisation la plus avancée dans la plus délicate sauvagerie (...)"
Petit extrait de "Génie", mon nouveau roman qui vient de paraître, disponible dès aujourd'hui sur le site de l'Édition des Libertés
Image : Portrait d'homme au chapeau, Modigliani.
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